Introduction
Les fonctions RSE et Achats devraient-elles travailler ensemble ? Ont-elles même des objectifs communs ? Après tout, la RSE, ça coûte cher, c’est bien connu. Quant aux achats, ils concernent surtout l’externe, les fournisseurs, alors est-ce vraiment la priorité RSE de l’entreprise ?
Dans une vision où la RSE ne sert qu’à améliorer l’impact environnemental de l’entreprise et les achats à réduire les coûts, il est vrai que le lien entre les deux fonctions ne saute pas aux yeux.
D’autant que chacune ne manque pas de défis à relever.
Attentes des parties prenantes
Côté RSE, les exigences sont de plus en plus fortes, et émanent d’un nombre croissant de parties prenantes : clients, régulateurs et législateurs, investisseurs, collaborateurs, … tous attendent de l’entreprise qu’elle opère avec plus de responsabilité vis-à-vis de l’environnement, de la société … et d’eux-mêmes.
Marchés complexes
Côté achats, les marchés ont rarement été si tendus, tout du moins si peu lisibles. La gestion post-COVID était déjà complexe. Les contextes économique et géopolitique, en Europe et en Asie notamment, rendent un peu moins prévisibles les prix et délais… quand les matières premières, matériaux ou composants sont tout simplement disponibles.
Et pourtant, chez Sourse, on pense que les deux fonctions ont tout intérêt à coopérer. Et même qu’elles le doivent.
Disons-le de manière limpide : une démarche RSE omettant la chaine de valeur amont a de forte chance de ne pas être pertinente, car elle ne répondra qu’en partie aux impacts et aux risques en matière de développement durable de l’entreprise.
Une stratégie Achats qui occulte ces mêmes questions de durabilité se prive de leviers de performance majeurs, et s’expose à des risques bien plus grands que l’augmentation des prix ou l’allongement des délais à court terme.
La chaîne d’approvisionnement : machine à impacts
Si vous êtes en charge des achats, vous le savez : votre portefeuille représente une part non négligeable du chiffre d’affaires de l’entreprise.
« Le modèle économique des entreprises françaises résulte, aujourd’hui, d’un recentrage sur leur cœur de métier avec comme corollaire un recours significatif à la sous-traitance et à la fourniture de prestations. Dans l’industrie, la part achats totalise entre 50 à 70 % du chiffre d’affaires des entreprises, dans les services entre 30 à 40 % (hormis dans la distribution où elle est supérieure à 60 %) »[1].
Pas de fumée sans feu
Sans surprise, il en va de même pour les impacts environnementaux et sociaux. Dans la variété des thématiques ESG (Environnement Social Gouvernance), rares sont les sujets qui ne concernent pas les achats. Faisons l’expérience.
Achats et impacts sur l’environnement
- Climat : si votre organisation a déjà réalisé son bilan des émissions de gaz à effet de serre, Scope 3 inclus, ou son Bilan Carbone®, vous l’avez sans doute constaté : les émissions de votre chaine de valeur (amont – vos achats – et aval – l’utilisation de vos produits ou services) sont considérables par rapport au bilan total. Elles peuvent représenter 90% de votre bilan total[2] ! C’est surtout vrai pour les industries manufacturières, de distribution, du textile… Certes, un peu moins si vous êtes Total Energies😉 (et oui, votre Scope 1 et votre Scope 3 aval seront alors majoritaires… ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’attaquer aux émissions amont).
Dur dur de répondre aux objectifs de décarbonation sans s’occuper de l’éléphant dans la pièce, non ? En résumé et très schématiquement : achats = impact climatique = levier de décarbonation.
- Biodiversité : idem. Et c’est sans doute plus évident encore. Extraction des matières, cultures et élevages intensifs, exploitations minières, … C’est en remontant nos chaines d’approvisionnement qu’on réalise l’ampleur des impacts sur les sols, les forêts, l’eau, et la biodiversité en général.
Par exemple, on parle aujourd’hui de déforestation importée, car même si nous n’arrachons pas d’arbres lors de nos propres opérations, les intrants, nos achats, ont un impact sur les forêts dans le monde. Ainsi, d’après le WWF, l’Union Européenne « est à l’origine de 16 % de la déforestation tropicale associée au commerce international, ce qui en fait le deuxième plus grand importateur de déforestation tropicale dans le monde, derrière la Chine »[3]. Ainsi, les 13,7 millions de tonnes de latex qui se sont écoulées des hévéas en 2019 ont principalement servi le secteur automobile, pour ses pneumatiques, à hauteur de 75%. Les sources d’approvisionnement sont principalement en Asie, qui porte 90% de la production mondiale. La culture intensive de ces arbres ne s’apparente en rien à une forêt, voire la détruit. Ainsi, toujours d’après le WWF, « l’hévéa recouvre aujourd’hui 15 millions d’hectares de la surface de la Terre. Avec le doublement du nombre de véhicules d’ici 2050, les dommages environnementaux et sociaux vont s’aggraver si le modèle n’est pas repensé ».
On constate les mêmes liens entre perte de biodiversité et ressources minières, donc chaine d’approvisionnement. Ainsi, l’IPBES nous apprend dans une publication de 2019 que « l’exploitation minière terrestre a augmenté de façon spectaculaire, avec des impacts négatifs majeurs en termes de biodiversité, d’émissions de polluants hautement toxiques, de qualité et de distribution de l’eau, et de santé humaine, bien qu’elle occupe encore moins de 1 % des terres »[4]. On pourrait développer longuement la liste des impacts environnementaux des chaines d’approvisionnement : pollution, impact sanitaire des intrants mis en œuvre, etc.
Passons aux impacts sur la société.
Achats et impacts sociaux
Quand on parle de social en achats, on évoque notamment les conditions de travail des travailleurs sur les chaînes d’approvisionnement, ainsi que les droits humains.
Selon les industries et les zones géographiques, les risques d’atteinte aux droits humains sont plus ou moins forts. Si nos opérations dépendent de l’extraction minière par exemple, on sait que les risques de travail forcé ou de travail des enfants est élevé. La Fondation Responsible Mining ou le Resource Governance Index en parlent abondamment dans leurs publications.
Les acheteurs de la filière textile ont tous en tête l’effondrement du Rana Plaza. Il y a 10 ans, on « découvrait » ainsi les conditions de travail honteuses sur nos chaines d’approvisionnement soi-disant maîtrisées …
Sans aller jusqu’à cet extrême, le droit à la vie, la juste rémunération des travailleurs et des producteurs est tout aussi mise à risque par des acheteurs tentés de toujours plus les prix vers le bas.
Si la stratégie RSE vise à prévenir et réduire les impacts causés par l’entreprise et sa chaîne de valeur sur la société ou l’environnement, alors les chaines d’approvisionnement ne peuvent plus rester un angle mort.
Les risques auxquels sont exposés les achats, ou le retour de boomerang
La fonction achats a pour objectif d’optimiser prix, qualité et délai. Cela englobe notamment la gestion de la relation fournisseur. C’est souvent une approche « risque » qui prévaut : il faut notamment gérer le risque fournisseur, c’est-à-dire le risque auquel s’expose l’entreprise en externalisant une activité : risque de retards de livraison, de hausse des coûts, d’image, …autant de facteurs de vulnérabilité qui représentent in fine des risques financiers.
Or, si on exclut le champ de la durabilité de l’analyse de risques achats, on occulte certainement l’essentiel des enjeux du XXIème siècle. Voici quelques illustrations.
Disponibilités des ressources, prix et délai : de la capacité inhérente de la planète à nous fournir
Il y a déjà 50 ans, le rapport Meadows[5], intitulé « The Limits to Growth », nous le disait : la croissance finie dans un monde fini, ça ne peut pas marcher indéfiniment.
La disponibilité des ressources est d’autant moins acquise qu’elle dépend de la capacité de la Terre à les fournir, rien de moins. Or, le système Terre est par définition limité, et à présent en surchauffe.
Un système en surchauffe
Effondrement de la biodiversité, crise climatique, les voyants sont au rouge. Les travaux du Stockholm Resilience Centre évoquent 6 limites planétaires dépassées sur 9[6].
Hormis le système Terre, dont nous dépendons absolument, notre propre capacité à opérer est affectée, notamment par les évènements liés aux aléas climatiques. Le cabinet Carbone4 l’a parfaitement illustré avec la carte disponible sous ce lien. De la moutarde au processeur électronique, du carton au thé, nombreuses sont les commodités dont l’approvisionnement est mis à mal.
La question se pose même en France : comment travailler, et donc produire, et donc approvisionner, quand il fait 45°C, que les cyclones sont plus nombreux et plus puissants ? Comment acheminer des containers par milliers dans un contexte de tension énergétique, de crises géopolitiques et de sécheresse ?
Contextes géopolitique et économique incertains
Les acheteurs énergie (que sont TOUTES les entreprises, que la fonction soit identifiée ou pas), l’ont vécu : une source se tarit, de manière plus ou moins artificielle, son prix flambe.
En juillet 2023, l’Inde interdit l’exportation de son riz non basmati afin de protéger son marché intérieur d’une flambée des prix. Ce sont surtout ses voisins asiatiques et les pays de l’Afrique subsaharienne qui sont inquiets et directement affectés. Néanmoins, les acheteurs de l’agroalimentaire restent tout aussi attentifs. Quand le plus gros exportateur au monde ferme le robinet, les cours d’approvisionnement sont déstabilisés : probables envolées des prix, sur un marché déjà haussier (15 à 20% depuis septembre 2022), recherche de nouvelles sources d’approvisionnement, risque que d’autres exportateurs réduisent également leurs exportations[7]…
Changer les règles du jeu et faire équipe
Illustration hélas parfaite de cet effet boomerang, le transport maritime, incontournable maillon de nos chaines d’approvisionnement. Les autorités du Canal de Panama ont annoncé cet été 2023 devoir réduire le nombre de bateaux autorisés à franchir l’ouvrage. En cause : la sécheresse inédite qui sévit dans la région depuis plusieurs mois.
Impact environnemental d’une chaine logistique d’un côté (chaque bateau enverrait près de 200 millions de litres d’eau douce dans les océans[8], risque de perte financière de l’autre….
La boucle est bouclée, le boomerang revient, et il est temps de trouver d’autres règles du jeu.
Les exemples d’impacts majeurs des décisions achats sont abondants. Votre direction RSE a donc tout intérêt à s’y intéresser.
Parallèlement, les risques auxquels l’entreprise s’expose en externalisant une activité (en achetant) sont de plus en plus complexes à appréhender. Auparavant, une simple analyse de marché permettait de fixer un budget annuel, un planning prévisionnel, et le métier de l’acheteur était relativement linéaire. A présent, les risques liés aux enjeux de durabilité, ou ESG, sont tels que les directions achats ont tout intérêt à les prendre en compte.
Pour ce faire, il y a quelques prérequis :
- casser les silos en entreprise,
- former acheteurs et prescripteurs aux enjeux de développement durable,
- professionnaliser la fonction pour des leviers d’actions plus puissants…
On en parle dans un prochain article. D’ici là, Sourse est à votre écoute pour vous accompagner à relever ces passionnants défis.
[1] Source https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/nouvel-objet-social-de-lentreprise-nouvel-essor-de-la-fonction-achats-136916, consulté le 29/08/2023. Par Natacha Tréhan (Maître de conférences en management des achats -Université Grenoble Alpes) Publié le 19 août 2018)
[2] Source : GHG Protocol Scope 3 FAQ Juin 2022, consulté ici https://ghgprotocol.org/sites/default/files/2022-12/Scope%203%20Detailed%20FAQ.pdf)
[3] Source : https://www.wwf.fr/deforestation-importee, consultée le 12/09/2023 et Rapport du WWF : Quand les européens consomment, les forêts se consument, avril 2021
[4] Source : Résumé à l’intention des décideurs du rapport sur l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, 2019
[5] Source : Donella Meadows, Dennis Meadows, Jørgen Randers et William W. Behrens, « The Limits to Growth », 1972 ; Les Limites à la croissance (dans un monde fini), éd. Rue de l’échiquier, 2012
[6] Source : Richardson, K., Steffen, W., Lucht, W., Bendtsen, J., Cornell, S.E., Donges, J.F., Drüke, M., Fetzer, I., Bala, G., von Bloh, W., Feulner, G., Fiedler, S., Gerten, D., Gleeson, T., Hofmann, M., Huiskamp, W., Kummu, M., Mohan, C., Nogués-Bravo, D., Petri, S., Porkka, M., Rahmstorf, S., Schaphoff, S., Thonicke, K., Tobian, A., Virkki, V., Weber, L. & Rockström, J. 2023. Earth beyond six of nine planetary boundaries. Science Advances 9, 37.
[7] Source : https://www.ifpri.org/blog/indias-new-ban-rice-exports-potential-threats-global-supply-prices-and-food-security
[8] Source Reporterre https://reporterre.net/Canal-de-Panama-acces-limite-pour-les-bateaux-pour-cause-de-secheresse, consulté le 21/09/2023